Le film en un plan

Alors que leur voyage au Japon touche à sa fin, mère et fille se retrouvent à la nuit tombée sur une jetée face à la mer. Aiko raconte à sa fille comment elle a rencontré son père et comment elle en est tombée amoureuse. A l'époque elle habitait en Mandchourie et il était un jeune soldat chinois traducteur pour l’armée du Guomindang, il venait prendre soin régulièrement de son neveu souffrant. Malgré un contexte politique difficile (les japonais installés en Mandchourie japonaise devaient faire face à une situation incertaine suite à la défaite japonaise) celui-ci les avait toujours traité avec le plus grand respect.

Alko (Lu Hsiao-fen) et sa fille Hueyin (Maggie Cheung)
Alko (Lu Hsiao-fen) et sa fille Hueyin (Maggie Cheung)

Dans ce plan les deux femmes sont de profil, la caméra pivote autour de Aiko au premier plan, laissant apparaître progressivement la mer dans le cadre puis un bateau. Celle-ci évoque avec émotion le moment où il lui demanda, également sur une jetée, de rester avec lui et que son destin bascula. Hueyin, envahie par l’émotion, prends finalement sa mère dans ses bras, elles sont maintenant de dos, face à ce bateau, symbole de ce destin bouleversé mais aussi de cette réconciliation.

Le film en une séquence

Le dernier jour avant son départ pour l'Angleterre, Hueyin est en colère. Sa mère ne fait que jouer au mahjong et c’est elle qui a dû tout faire ce soir là, elle craque. Alors qu’elle prépare sa valise, son père va lui révéler un secret, sa mère est japonaise. Hueyin est surprise. Il lui explique ce qu’elle a dû endurer toute seule ne pouvant communiquer avec sa belle famille et cachant sa réelle origine pour éviter les représailles. Il lui dit que si elle doit se plaindre, elle n’a qu’a s’en prendre à lui, mais celle-ci est sous le coup de la colère et reste sur le souvenir d'une enfance difficile avec sa mère et quitte Hong Kong fâchée. Cette séquence est le début de la prise de conscience de Hueyin, mais également permet la compréhension de la scène suivante où Aiko prépare elle aussi sa valise pour le Japon.

Hueyin et son père la veille de son départ
Hueyin et son père la veille de son départ

Le film en une idée

La narration du film est une vraie réussite, malgré de nombreux flashbacks, à aucun moment le fil de cette histoire ne nous échappe. A chaque fois ceux-ci permettent la prise de conscience de Hueyin et la compréhension du spectateur et de façon générale font échos à la situation présente. Par exemple lors du voyage au Japon, il est savoureux de voir la fille prendre conscience de ce que sa mère a pu vivre lorsqu'elle se retrouve elle-même dans une situation difficile due au fait qu'elle ne parle pas japonais. Ou encore lors du plan cité précédemment se déroulant tout deux sur une jetée, de même que la séquence précédemment citée évoquant leur départ respectif.

Le retour aux sources en lui-même est assez paradoxal et subtilement montré. Pour la fille c'est un monde qu'elle ne comprend pas, il ne lui permet que d'entrevoir les racines de sa mère et de mieux comprendre son parcours. Pour la mère, celle-ci retrouve ses racines mais le contexte a complètement changé depuis son départ et son plus jeune frère n'accepte pas qu'elle ait en quelque sorte choisi l'ennemi. C'est avec la sensation d'être également étrangère qu'elle va repartir avec sa fille pour Hong Kong, son lieu d'exile devenu le plus familier. A travers le personnage de la mère, Ann Hui nous parle du déracinement, de l'isolement, du sacrifice et des difficultés d'adaptation à un autre environnement, à une autre culture. A travers le personnage de la fille c'est plus du rejet des traditions et de la recherche de ses origines dont il est question. Le tout avec en toile de fond la différence culturelle entre chinois et japonais. 

Le film en un personnage

Même si l’interprétation de Maggie Cheung dans le rôle de Hueyin est incroyablement subtile et bouleversante. Le personnage de la mère est vraiment à souligner. Insaisissable au début de l’histoire, on ne comprends pas tellement pourquoi cette mère est si distante avec sa fille, elle semble autoritaire et sans cœur face à une belle famille dévouée qui marque l’essentiel des souvenirs de Hueyin. Au fil de l’histoire, au même rythme que Hueyin qui est notre point de vue, celle-ci va se rapprocher lentement, et enfin être comprise aussi bien du spectateur que de Hueyin. Aiko est interprétée par l’actrice taïwanaise Lu Hsiao-fen  (陸小芬).

Encore quelque chose…

L’histoire étant fortement inspirée de la propre vie d'Ann Hui, la réalisatrice réalise sans doute un de ses films les plus personnels. Les scènes où Hueyin enfant est avec ses grands parents en sont le témoignage tant elles sont magnifiquement touchantes et empreintes de nostalgie.

A noter que l'écriture du scénario a été confié au taïwanais Wu Nien-jen (吳念真) qui a notamment écrit pour plusieurs films de Hou Hsiao-hsien et d'Edward Yang.

Song of the exile de Ann Hui

 

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