Tout d’abord le sens du titre original du film en chinois est beaucoup plus proche de celui du film lui-même, comparé à la version anglo-française. Hǎi shàng chuán qí (海上传奇) signifie “Une légende au-dessus de la mer”. Contrairement à ce que laisse penser le titre lors de sa distribution en France « I wish I knew, histoires de Shanghai », le film n’est pas seulement sur l’histoire de la ville, mais plus sur des accidents, des expériences ou encore des évènements qui se sont déroulés dans un même espace imaginaire “Au-dessus de la mer”, ou plus concrètement dans un espace situé entre les villes de Shanghai, Hong Kong et l’île de Taïwan. Ainsi Shanghai dans le film n’est pas présentée comme une ville métropole, mais plutôt comme un grand bateau naviguant sur la mer où Il n’y aurait pas d’habitants, mais seulement des passagers qui vivent dans une douloureuse nostalgie de leur “Shanghai”.

Il est toujours difficile de distinguer le genre des films que réalise Jia Zhangke tel que « 24 city » (二十四城, 2008), « Still Life » (三峡好人, 2006) ou encore « The World » (世界, 2004). On ne sait jamais si il s’agit de documentaires ou de fictions. Mais « I wish I knew, histoires de Shanghai » est en fait un autre genre de film, un film historique qui utilise des symboles pour représenter la grande légende d’une époque. Il y a d’abord des symboles vivants tels que les personnes qui racontent leur histoire.

Bien que leurs apparitions ressemblent à de simples entrevues, le contenu de leurs histoires rend chaque symbole plus vivant, plus réel et plus riche, tout en rendant le film plus humain. Ces personnes ne nous racontent pas l’histoire de la Chine, comme le coup d’État, comme la guerre de l’époque, ils nous racontent tout simplement leurs sentiments intimes, leurs souvenirs personnels, et leurs affaires familiales. Cependant, parce qu’ils jouèrent tous un rôle très important à l’époque, leurs sentiments intimes sont aussi le témoignage des souffrances de l’époque, leurs souvenirs personnels représentent les grands mouvements historiques, où leurs affaires familiales furent transformées par des événements nationaux.

L’un des fils directeurs qui anime les personnages est rattaché à l’histoire politique de Shanghai. Par exemple en 1933, la mort de Yang Xingfo, le chef d’une société secrète, évoque subtilement la question de la République de Chine. Zhang Yuansun raconte comment son grand-père a armé un chasseur allemand pour la Guerre de Résistance contre le Japon en 1937. En 1948, la mort du père de Wang Peimin, qui est communiste, sous-entend le conflit entre le Parti Communiste et le Guomindang. Une autre piste se concentre sur l’évolution des mentalités chinoises, surtout en ce qui concerne l’amour. Le réalisateur Hou Hsiao-hsien explique la situation initiale des relations amoureuses en Chine “Avant le 19e siècle, l’amour entre l’homme et la femme n’existait pas. Les gens se mariaient par obéissance à l’autorité de la famille. Le sexe n’était pas un problème, mais il n’y avait aucun amour”. Le descendant de Zeng Guofan se rappelle de son expérience qui représente “la première génération amoureuse chinoise”, puis les aventures de Shangguan Yunzhu, de Wei Wei jusqu’à Rebecca Pan, montrent que la femme devenait de plus en plus libre et indépendante. En 1949, la raison de son exil à Hong Kong n’est plus simplement un problème politique, mais est devenue personnelle et sentimentale.

Le film présente également de nombreux symboles inanimés, comme le lion en cuivre, la rivière de Suzhou, les bateaux, des ruines, des gratte-ciels, une usine désaffectée ou encore les pavillons de la toute récente exposition universelle.

Le début du film évoque par exemple un souvenir délicat de la Chine du début du 20e siècle : un lion en cuivre qui semble rugir. Ceci fait référence à une citation de Napoléon “La Chine est un lion endormi, le jour où elle se réveilla, la terre tremblera”. Puis, la rivière de Suzhou qui prit ce nom après le pacte de Nankin entre l’Angleterre et la Chine en 1843, est un symbole de l’ouverture de la Chine : les étrangers purent entrer en Chine par bateau depuis cette rivière. Le bateau représente Shanghai comme une ville d’immigrées, la ruine montre le passé du gratte-ciel et aussi son futur, quant à l’une usine textile tombée en désuétude, elle raconte l’histoire glorieuse et sa fortune misérable d’aujourd’hui. Tous les symboles sont comme des marques, des preuves et des témoignages du grand changement qui s’opère en Chine.

Enfin, « I wish I knew, histoires de Shanghai » est un projet aussi ambitieux qu’un musée : les symboles inanimés sont des objets exposés et les symboles vivants sont leurs commentaires, leurs explications. Ainsi, à travers son film, Jia Zhangke nous invite à visiter une grande “exposition” au sujet d’une légende de la Chine qui prend ses sources il y a soixante-dix ans.

Texte écrit par Liang Jifan.

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