Aujourd'hui nous allons nous intéresser à un phénomène qui touche le cinéma chinois, l'influence d'internet sur les films chinois.

Love is not blind
Bai Baihe dans « Love is not blind »

J'ai pu voir lors du dernier Festival du cinéma chinois de Paris le film « Love Is Not Blind » (失戀33天) de Teng Huatao, une comédie romantique qui raconte l'histoire d'une jeune femme après une séparation difficile.

Cette histoire écrite par l'auteur Bao Jingjing fut d'abord publiée sur un son blog sous la forme d'un journal intime. Par la suite un éditeur lui proposa de le publier sous la forme d'un roman. C'est ensuite la télé puis le cinéma qui achetèrent les droits et l'adaptation auprès de l'auteur. Grace à une histoire très contemporaine et touchant directement les nouvelles générations le film fut un énorme succès en Chine (voir l'histoire de Bao Jingjing).  

Nous allons voir comment de plus en plus de projets sont montés sur la base de récits tout d'abord publiés sur internet et comment internet influence la création cinématographique chinoise.

Etat des lieux d'internet en Chine

Internet en Chine c'est plus de 500 millions d'internautes. Weibo, une sorte d'équivalent chinois de Twitter, compte 350 millions d'utilisateurs. Le site est un vrai phénomène à part entière en Chine, énormément d'internautes chinois vont chercher l'information directement sur ce site afin d'être au courant des dernières nouvelles ou des dernières tendances dans le pays. De même certains blogueurs ont des quantités de visiteurs vertigineuses, tel l'écrivain à succès Han Han qui serait le blogueur le plus lu au monde avec 400 millions de visites sur son blog entre 2006 et 2011.

Notoriété et réalisme

Zhang Lixian dans « Beijing blues »
Zhang Lixian dans « Beijing blues »

L'audience internet chinoise est donc colossale, savoir attirer l'attention sur internet en Chine, c'est pouvoir acquérir une certaine notoriété. Le réalisateur chinois Gao Qunshu a choisi pour jouer dans son film policier « Beijing Blues » (神探亨特张) des personnalités populaires sur le réseau Weibo. Le réalisateur justifie son choix, par son intention de donner plus de réalisme à son histoire. Le film sorti cette année en Chine a pour acteur principal Zhang Lixian qui est dans la vie journaliste et éditeur, mais aussi microblogueur sur Weibo. Il en ressort un film qui suit un inspecteur de police au cœur de Pékin, au plus près de la réalité, une sorte de « L.627 » à la chinoise.

Les personnalités du web chinois passent au cinéma, mais les histoires qui font du bruit sur internet sont également adaptés comme on a pu le voir avec « Love is not blind » mais ce n'est pas le seul exemple. Lou Ye a choisi pour son dernier film « Mystery » (浮城谜事), comme il le dit lui même, de "montrer la vie quotidienne en Chine aujourd'hui". Pour ce faire le réalisateur à adapter l'histoire vraie publiée sur internet d'une jeune femme trompée par son mari, le scénario fut ensuite agrémenté d'une intrigue policière. Grâce à cette adaptation le film dépeints une société chinoise plus contemporaine, plus en phase avec son temps, afin que l'histoire puisse toucher directement les spectateurs chinois.

Quand les internautes s'expriment

De plus en plus d'événements, d'histoires, de vidéos sont publiés sur l'internet et les réactions sont nombreuses, démultipliées, démesurées diront certains. Rappelez-vous l'histoire cette petite fille écrasée à la vue de tous par un camion. Ces images ont faire le tour du monde, et les passants qui ont vu la petite fille au sol ont été sévèrement critiqués par les internautes chinois pour leur inaction.

Une des raisons évoquées est que les chinois s'abstiennent d'aider quiconque dû à plusieurs cas d'arnaques (les fausses victimes demandant réparation financières auprès de leur "sauveur"). Cet argument se matérialise de façon troublante dans la scène d'accident du film « Mystery », les personnages se demandant si la victime ne simule pas.

Gao Yuanyuan dans « Caught in the web »
Gao Yuanyuan dans « Caught in the web »

Mais les réactions sur internet peuvent avoir aussi leur travers, en ce transformant en véritable "lynchage 2.0". C'est le sujet du dernier film de Chen Kaige « Caught in the web » (搜索) sorti cette année en Chine et qui a été choisi par le SARFT(1) pour représenter la Chine aux prochains Oscars.

Le film raconte l'histoire fictive d'une jeune femme venant d'apprendre qu'elle est atteinte d’un cancer lymphatique, qui se retrouvant assise dans un bus ne cède pas la place à une personne âgée. Grâce à la magie du téléphone portable cette scène va être filmée et publiée sur internet, et la vie de la jeune femme totalement bouleversée, allant jusqu'à provoquer une tentative de suicide dans son entourage.

Chen Kaige s'est d'ailleurs exprimé lors du récent festival de Toronto à propos d'internet, avec des propos assez durs, évoquant des relents de révolution culturelle, comme ci le réalisateur comparait les séances de lutte à l'acharnement des internautes.

Sous contrôle

Rappelons qu'internet en Chine est censuré, donc logiquement le parti a encore la main sur cette création en ligne, mais Weibo qui est basé sur le principe de la viralité, se montre quelques fois si rapide que la censure se fait occasionnellement dépassée.

Une chose est sure, les choses vont vite en ce qui concerne la création, et de plus en plus de récits abordent des sujets qui touchent directement les chinois, spécialement les nouvelles générations. Même si ce choix peu sembler gouverner par des seuls fins marketing par les producteurs quelque fois, ils permettent tout de même d'apporter une bonne dose de modernité dans les sujets abordés.

Internet est devenu un lieu d'expression très prisé des internautes chinois dans un pays ou l'expression en publique peu s'avérer encore risqué.

La prochaine étape ?

Comme on le voit les univers d'internet et du cinéma covergent, et la création sur internet semble plus libre et foisonnante que dans le milieu du cinéma ou elle semble plus fastidieuse et contrainte par des logiques de marché et de censure forte. Internet va-t-il devenir le moteur de la création cinématographique ou l'est il déjà ?

Le film « Old boys » sur Youkou
Le film « Old boys » sur Youkou

Quelques tentatives de projets directement diffusés sur internet on déjà eu lieu, dont certains avec succès. Tel le projet The Bright Eleven en 2010 ou des courts métrages on été produits spécialement pour la plateforme vidéo Youkou. L'un d'entre eux « Old boys » (老男孩) a remporté un énorme succès sur le réseau, dépassant même le nombre de spectateurs du film de Zhang Yimou « Under the Hawthorn Tree ». 

Mais le SARFT veille et de nouvelles contraintes vont être appliquées à la diffusion des créations audiovisuelles sur internet. Seul espoir la multitude de créations et sa vitesse de partage pourront occasionnellement dépasser la censure comme c'est le cas avec Weibo. On peut aussi espérer un assouplissement de la censure de façon générale, certains événements récents laissant entendre que le gouvernement utilise occasionnellement internet comme soupape de sécurité.

Maintenant chers lecteurs à vous de vous exprimer sur le sujet, commentez et réagissez.

Merci d'avoir lu cet article.

(1) Administration d'Etat de la Radio, du Film et de la Télévision

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