Pour cette seconde fois Chine et films est allé à la rencontre d’une réalisatrice originaire de Pékin, Yang Mingming (杨明明) qui présente dans différents festivals son premier film « Female directors » (女导演).

D’une quarantaine de minutes le film propose de suivre Ah Ming interprétée par la réalisatrice elle-même et Yue Yue interprétée par Guo Yue (郭月), deux copines vivant à Pékin tout juste diplômées ne trouvant pas de travail qui décident de se filmer chacune à leur tour. On suit ainsi leur quotidien et leurs tourments jusqu’à ce que les deux amies se rendent compte qu’elles fréquentent le même garçon.

La caméra que l’on ressent intensément dans chaque plan devient alors incroyablement intrusive et immersive jusqu’au malaise. Où est la fiction, où est la réalité ? Yang Mingming brouille les cartes et offre un film intelligent au ton vif et féministe sans le moindre soupçon d'apitoiement sur celles qui vont décider de “mettre en scène” leur propre destin.

Bonjour Yang Mingming, peux-tu te présenter en quelques lignes ?

A l'âge de 16 ans j’avais déjà une caméra DV, j’ai tout de suite compris que ce jouet était beaucoup plus intéressant que les beaux garçons. Je suis née à Pékin en 1987.

Ton premier film est un moyen métrage nommé « Female directors », impressionnant par son originalité, comment en es-tu venu à réaliser ce film ?

Mon but était de montrer de manière simple des sentiments complexes

Après avoir eu ma licence en cinéma, j’avais beaucoup de possibilités. A l’université la plupart des filles de ma promotion n’ont pas choisi de faire des films, elles se sont tournées vers d’autres domaines. Moi je voulais continuer, je voulais filmer.

Mon but était de montrer de manière simple des sentiments complexes. Je voulais raconter l’histoire de deux filles et d’une caméra, je trouve cela très intéressant. Au début j’avais pensé tourner le film différemment, mais après avoir bien réfléchi et après quelques essais, j’ai eu envie d’augmenter le réalisme de mon histoire.

Comment as-tu produit ce film ? Quelle est la vie d’une jeune réalisatrice indépendante en Chine ?

Grâce à une société de production, qui une fois le tournage terminé, m’a remboursé l’ensemble de mes frais. Ce film est un peu particulier, car l’actrice qui joue le rôle de Yue Yue est une bonne amie. Nous n’avions pas de contrainte de temps, on était très libre. Pour les réalisateurs indépendants il n’y a pas de norme, chacun à sa propre façon de se faire produire. Je trouve tout de même que j’ai eu de la chance, la façon dont j’ai tourné le film a sûrement du aider à me faire soutenir.

L'actrice Guo Yue dans le rôle de Yue Yue
L'actrice Guo Yue dans le rôle de Yue Yue

Pourquoi avoir choisi de jouer toi-même l'un des deux rôles dans le film ?

Le titre du film en chinois signifie “Réalisatrice”, j'interprète donc l’une des réalisatrices dans le film que j’ai réalisé, c’était une manière pour moi d’amplifier mon propos.

Comment s’est déroulé le tournage ? A part vous deux, quelle était l’équipe du film ?

Tout au long du tournage, la plupart du temps, il n'y avait que nous deux. A part pour une scène, celle dans le parc Ditan, quelqu’un faisait semblant de voler la caméra pour donner du réalisme mais aussi pour ajouter un peu d’humour. Cette personne était en fait le photographe plateau.

As-tu écrit précisément chaque dialogue du film ou as-tu laissé place à l’improvisation ?

J'avais écrit tout le scénario sur papier. Avant chaque scène, nous avons fait des répétitions pendant longtemps jusqu'à ce que chaque scène ait l'air réaliste. Pendant le tournage, il y a eu à peu près 10% qui était improvisé, mais l'histoire principale était intégralement écrite, nous avons fait des modifications de dialogues pour les adapter à notre façon de parler.

Dans le film la frontière entre le documentaire et la fiction semble tellement fine, que c’en est parfois déroutant. Comment as-tu réussi à capturer cette sensation de réalité ?

Je voudrais insister sur le fait que ce film est une pure fiction empruntant seulement le style documentaire. Ainsi j’ai respecté les conventions d’écriture et de tournage d’une fiction, mais j’ai fait en sorte d’utiliser tous les moyens disponibles pour rendre mon film le plus réaliste possible, un peu comme le film américain « Paranormal activity ».

Par exemple le moment où la caméra change de main est un moment clé. Pour arriver à cette sensation de réalité j’ai énormément travaillé et j’ai mis trois mois pour finir le montage.

Yang Mingming (à droite) et son actrice Guo Yue sur le tournage du film
Yang Mingming (à gauche) et son actrice Guo Yue sur le tournage du film

Est-il possible comme dans le film d’être exclu du parti communiste pour avoir assisté à un cycle de films sur Bergman ?

Ce n’est pas lié à Ingmar Bergman, en Chine si tu veux être membre du parti, tu dois suivre des cours, mais Yue Yue dans le film a préféré aller au cinéma, du coup elle s’est faite exclure.

Bien qu’aucun personnage masculin ne soit présent à l’écran, la question du patriarcat est un thème central dans ton film. Pour exemple la première scène du film au ton très insolent, se moquant des rôles sexués au sein du couple, jusqu'à ce que les deux héroïnes simulent l’orgasme. Considères-tu ton film comme féministe ?

Je pense que le film est tout aussi critique envers les femmes que les hommes

Après avoir fini le film, j’ai réfléchi au genre dans lequel je pourrais le classer. Par la suite beaucoup de festivals de films de femmes ont voulu projeter mon film. Ils le considèrent tous comme un film féministe, mais je pense que le film est tout aussi critique envers les femmes que les hommes.

Les deux protagonistes semblent réellement dépendantes de leur petit ami, à tel point que lorsqu’elles rompent avec lui leur vie semble beaucoup plus compliquée. Est-ce la situation actuelle des femmes en Chine aujourd’hui ?

Avec ou sans petit ami, la vie reste dure.

Y a-t-il une place pour ces sujets dans des films chinois plus commerciaux ?

Je ne sais pas, il faudrait peut-être demander à Zhang Yimou. Je plaisante. Faire un mauvais film et ensuite faire énormément de promotion pour le vendre est certainement un moyen d’atteindre le public, mais pour moi la vraie valeur d’un film est lorsqu’il a une chance de rester dans l’histoire.

Que penses-tu de cinéma chinois actuel ? Où vas-tu voir les films et es-tu optimiste quant à son avenir ?

Pour le futur du film d'Art et d’Essai, surtout pour les films indépendants, je suis comme tout le monde, je ne sais pas du tout

À propos du marketing du cinéma chinois, je suis assez optimiste, surtout pour les films commerciaux de ces 10 dernières années. Je vais souvent au cinéma pour voir des films, je me fie souvent au bouche-à-oreille et choisi selon le sujet. Peu importe que ce soit un film américain ou un film chinois, ça n’a pas d’importance. Chaque mardi, c'est moitié prix alors je regarde souvent quatre films d'affilée. Maintenant, beaucoup de chinois vont au cinéma, et c'est devenu le rendez-vous amoureux qui coûte le moins cher, même si le pop-corn est hors de prix. Quand je suis a la maison, je télécharge beaucoup de films.

Mais pour le futur du film d'Art et d’Essai, surtout pour les films indépendants, je suis comme tout le monde, je ne sais pas du tout. Il y a quelques jours, je suis allée dans quelques cinémas d'Art et Essai à Paris, j'ai adoré leurs ambiances, les gens semblaient passionnés de cinéma, j'ai presque dû voler ma place à des personnes âgées. Même en Belgique, tout près d'où j'habitai il y avait un petit cinéma de 20 places, sa caisse était comme une petite épicerie, un des films qu'il projetait était en compétition à Cannes l'année dernière, il y avait aussi beaucoup de vieux films, et la salle était pleine et pas seulement le week-end. Peut-être que l'Europe est plus accueillante envers le cinéma.

Si tu devais conseiller un film chinois aux lecteurs de Chine et films, lequel serait-il ?

Personnellement, mon film préféré est « Adieu ma concubine » (霸王別姬), mais probablement les français l'ont déjà vu. Si on parle de ces dernières années, j’ai particulièrement apprécié « The sword identity » (倭寇的踪迹) de Xu Haofeng et « Emperor visits the Hell » (唐皇游地府) de Li Luo. Mais si je devais citer un vieux film ce serait « Darling, stay at home » (太太万岁, 1968) de Wang Tianlin, je trouve le titre anglais très mignon.

Et maintenant quels sont tes prochains projets ?

Je me pose cette question tous les jours. Il y a trop de choses que j'ai envie de filmer, du coup je sais plus par où je dois commencer, peut-être ce que j'ai vraiment envie de filmer ne m’est pas encore venu naturellement, et quand cela viendra, je le saurai. Je n'exclus pas que ce soit un film commercial.

Extrait du film « Female directors »

 

Merci à Yang Mingming pour cette rencontre, n'hésitez pas à visionner son film sur iqiyi.com.

Merci à Liang Jifan pour son aide à la traduction de l'interview.

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